jeudi 5 novembre 2015

Le miracle de la vie



Alors que j’avais autour de sept ou huit ans et que j’eus épuisé toutes les ressources des rayons jeunesse de la bibliothèque municipale de mon petit bled de banlieue, je me suis résolue à descendre explorer l’étage des adultes.  
J’ai vaqué entre les différentes thématiques, jusqu’à ce que je finisse par atterrir tout au fond de la bibliothèque, dans son coin le plus reculé, là où se trouvait l’obscur rayon qui me faisait de l’œil depuis un moment mais que je n’osais pas approcher, tellement ça m’apparaissait comme la transgression ultime : le rayon sexualité. J'avais cru comprendre que le sexe était quelque chose qui représentait des enjeux importants pour les grandes personnes, et j’avais donc fort soif d'apprendre pourquoi. 

Si j'avais su ce qui m'attendait ce jour là, je me serais tenue loin, trèèèès loin de ces étagères, et je me serais contentée de relire La sorcière de la rue Mouffetard ad vitam aeternam. 
En feuilletant un livre sur la grossesse, j'ai eu le plus gros choc de ma jeune vie (ex-aequo avec la fois où j'ai réalisé que c'était ma mère déguisée en Père Noël qui amenait les cadeaux sous le sapin) : une photo d'accouchement. Pas un schéma, pas un dessin... UNE PHOTO.
Une femme, jambes écartées, plein de poils, de sang, de matières organiques non-identifiées, et une petite tête dégueu, là, qui dépassait.

Inutile de préciser qu'à cette époque je pensais encore qu'on pouvait faire des bébés juste en se faisant un smack sur la bouche, et que je n'avais pas la moindre idée de la manière dont ils venaient au monde. Je devais m'imaginer qu'ils étaient aspirés dehors par le nombril de la mère, c'était la seule utilité que j'entrevoyais à ce trou idiot au milieu du bide. Que les garçons en aient un aussi ne m'avait jamais interpellé plus que ça (il faut dire que j'étais pas le crayon le plus aiguisé de la boîte, hein...).

C'était donc ça "avoir un enfant"? Le rêve d'avenir de la majorité des petites filles? Dégueuler une créature par le frifri?
Je suis rentrée chez moi traumatisée, et je suis restée longtemps prostrée dans mon lit en position foetale en réfléchissant aux stratagèmes que je pourrais élaborer pour échapper à cette malédiction (parce que oui, je croyais que, sauf dérogation exceptionnelle, toutes les femmes étaient destinées à avoir des enfants un jour...)
Ça me paraissait trop affreux pour que des femmes décident de leur plein gré de s'infliger un truc pareil, je me disais que la réalité de l'accouchement devait être un secret dont personne n'avait connaissance, en dehors des parturientes elles-mêmes, et que celles-ci décidaient de ne rien révéler au reste du monde et parfois même, par abnégation, d'accoucher plusieurs fois pour éviter une baisse drastique des naissances jusqu'à extinction définitive de l'espèce.

Bref, ce jour là, j'ai décidé que je n'aurais jamais d'enfant.
Je me voyais négocier avec mon futur mari Tony (je prévoyais d'épouser Tony Micelli, c'était le seul mec que j'avais vu passer l'aspirateur dans ma vie, je trouvais ça pratique) en lui vantant les bienfaits de l'adoption si vraiment il tenait tant que ça à avoir une descendance.

Aujourd'hui, le traumatisme s'est certes estompé, mais je n'ai toujours pas envie d'avoir d'enfants, pour plein d'autres raisons qui sont venues s'additionner à cette image sortie tout droit du neuvième cercle des enfers.
Et même, jusqu'à très récemment, les enfants suscitaient en moi au mieux une indifférence polie, au pire un profond agacement qui m'aurait permis de trouver parfaitement justifié que certains parents abandonnent leur progéniture sur une aire d'autoroute. Pour moi les nourrissons avaient tous le même faciès fripé et je ne comprenais pas ce qui pouvait pousser les gens à s'extasier sur ces trolls pleins de bave. Il m'est arrivé de dégager de Facebook des connaissances qui expliquaient en toute simplicité dans leurs statuts, photos à l'appui, que Timéo avait fait caca mou ce matin (mention spéciale aux commentaires : "Pauvre loulou! Courage, Maélyne était constipée hier mais aujourd'hui ça va mieux, elle nous a démoulé une crottoune de toute beauté!").
J'étais perplexité.

Et puis, au début de cette année, ma propre soeur m'a annoncé qu'elle était enceinte. De jumeaux. Elle avait beau être en couple depuis dix piges, l'idée qu'elle puisse enfanter ne m'avait à vrai dire quasiment jamais traversé la cervelle. C'était ma grande soeur, quoi ; cet être qui s'amusait à me pousser dans les orties quand on était petites, et qui me faisait la gueule pendant trois semaines quand je lui piquais ses fringues, mais que j'ai toujours admiré parce que hey, c'est l'aînée, et qu'elle a trop la classe.
La preuve, même quand elle fait des enfants, BIM, elle en fait deux d'un coup.
Ce jour-là mon cerveau a fait un triple lutz dans mon crâne et est visiblement retombé à l'envers, parce que cette annonce a été une des plus grandes joies de mon existence. J'allais pouvoir transmettre plein de trucs à des êtres innocents tout en échappant aux contraintes de la maternité. Le deal de rêve.

Depuis leur naissance, c'est comme si toutes les mamounettes du topic maternité de Doctissimo avaient pris soudainement possession de mon esprit, et je suis passée du côté obscur; celui des femmes qui ont des photos de bébés dans leur portefeuille, qui emploient des termes comme "mes petits anges"ou "p'tite bouille d'amour" et qui arrivent à caser dans n'importe quelle conversation qu'elles sont tatas...

J'ai compris que j'étais foutue quand je me suis surprise à m'émouvoir en regardant en boucle une vidéo d'un de mes neveux qui lâche une caisse.
Le prout comme allégorie du miracle de la vie.

Aujourd'hui, j'ai presqu'envie de demander pardon à tous ces parents mièvres que j'ai jugés trop durement. Désolée les gars. Je pouvais pas savoir. Je comprends un peu mieux maintenant.

Mais vous emballez pas trop non plus ; ce sont mes neveux les plus beaux.


2 commentaires:

  1. Extrait de mon journal du 9 octobre 2013 :
    "Premier pet de [prénom de mon fils]. À classer parmi les cinq plus beaux sons entendus dans ma vie."
    Ouais, gars.

    RépondreSupprimer
  2. Peu d'individus peuvent se targuer d'avoir un souvenir écrit de leur première flatulence. C'est beau. :)

    RépondreSupprimer