jeudi 26 novembre 2015

Réhabilitation de la chaudière

En général tu te manifestes par des textos tard le soir ou au milieu de la nuit, quand tu n'as pas sommeil, ou quand tu es un peu cuicuit et que tu as une érection dont tu ne sais pas trop quoi faire. Ce serait bête de gâcher. Peut-être que ta copine avait ses ragnoutes ce soir, ou que ce rencard Tinder dans lequel tu plaçais moult espoirs libidineux s'est avéré décevant, on sait pas trop...
Parfois, tu n'as pas donné le moindre signe de vie depuis des mois, alors pour bien montrer que tu n'as pas tapé le message avec ton pénis, tu demandes d'abord si elle va bien. Au fond tu t'en fous un peu, de comment elle va, et tu espères qu'elle ne va pas te répondre avec un pavé te narrant ses embrouilles avec Marie-Choune de la compta ou la dernière gastro de son cochon d'Inde ; c'est juste un vestige des quelques préceptes de politesse que ta maman t'a inculqué il y a longtemps dans l'espoir de faire de toi autre chose qu'un fruste bourrin.

Elle, elle n'est ni bombasse ni hideuse, peut-être que certains la trouvent canon, et d'autres dégueulasse, on sait pas trop... Un jour, quelqu'un lui a dit "Non mais t'es belle pour ceux qui savent te regarder", ce qui veut plus ou moins dire "Je me retournerais sans doute pas sur toi dans la rue, mais y a quelque chose...". Ce "quelque chose" c'est peut-être ce qui t'a donné envie de monter chez elle la première fois après quelques pintes. Elle était sympa et détendue, et elle ne t'a pas parlé d'un hypothétique désir de fonder un foyer pendant que tu faisais laborieusement un petit noeud à la capote avant de la jeter à la poubelle, alors en remontant ta braguette et en disant "Merci c'était cool, on se rappelle", tu as pensé : "Je me la garde dans un coin de mon répertoire, ça peut resservir.".
T'as pris un taxi et le lendemain en te réveillant tu ne te souvenais plus trop d'elle et de ta soirée. Ça t'est revenu après le premier café, "Ah mais ouais, cette nana hier...".

Puis ta vie a repris son cours, avec ta copine, ou avec Solange Le Plouerec (ta collègue/fantasme qui te chauffe comme pas possible), ou cette ex dont tu ne guéris pas et avec qui "c'est compliqué". Vous vous êtes séparés parce que vous n'aviez pas les mêmes attentes mais quand même "c'est dur, on arrive pas à se détacher l'un de l'autre, on est tellement compatibles putain!". Elle repasse régulièrement chez toi, officiellement pour prendre des nouvelles du chien parce que c'était un peu comme votre bébé, sa maman lui manque tu comprends, et ça finit invariablement de manière copulatoire, suivi d'un réveil aussi malaisant qu'une pub Nescafé des années 90... (bref, remettez vous ensemble et nous cassez pas les noix, merci.)

Et de temps en temps, cette nana dont tu t'es dit qu'elle pourrait "resservir", tu t'en ressers, donc. Une fois par semaine, ou par mois, ou par trimestre... on sait pas trop. Parce qu'il faut bien être autre chose qu'un fruste bourrin, tu l'écoutes quand elle te parle d'elle, mais tu oublies, alors tu lui reposes les mêmes questions la semaine, le mois ou le trimestre suivant... Un jour, elle t'a envoyé un message pour te dire qu'elle aimait bien les moments passés avec toi ; t'as pris peur (peur de quoi? On sait pas trop...), et ta grandeur d'âme t'a fait prendre la décision de ne pas lui répondre et de ne plus la rappeler parce que hein, bon, tu voudrais pas qu'elle se fasse des films sur "nous". D'ailleurs y a jamais eu de "nous", c'est pas parce que vous vous amusez mutuellement avec vos parties génitales une fois par semaine, mois ou trimestre qu'elle a une quelconque place dans ta vie, faut pas déconner.
Alors tu n'as plus donné signe de vie jusqu'à une nouvelle soirée cuicuite et sans sommeil où tu t'es retrouvé comme un con avec une érection dont tu ne savais pas trop quoi faire.

Et bien tu vois, cette fille qui n'est pour toi qu'une chaudière quelconque mérite pourtant tout ton respect, mon brave. Ta copine s'est barrée avec un argentin plus beau et drôle que toi et ça t'a foutu un gros kick dans l'égo. Solange Le Plouerec a mis fin à vos ébats fugaces derrière la photocopieuse parce qu'elle s'est rendue compte que c'était compliqué pour elle de gérer le zob in job, et ça t'a démoralisé. Quant à ton ex, elle est toujours là, en pointillés, à souffler le chaud et le froid et à te retourner le coeur et le bide (même depuis que le chien est mort ; tu commences à te douter qu'il ne s'agissait là que d'un alibi, champion va!)

Alors que, même si elle ne fait que de la figuration dans ta vie, tu n'auras jamais mal en repensant à cette fille-là. Tu ne parleras jamais d'elle avec la gorge nouée. Tu ne regarderas jamais ses photos en chouinant avec "Someone like you" d'Adele dans les oreilles (d'ailleurs, tu n'as aucune photo d'elle dans ton téléphone). Tu ne seras jamais dévasté par le manque d'elle. Elle n'aura jamais fait palpiter chez toi autre chose que ton slip, certes, mais elle ne t'aura laissé que de bons souvenirs. Elle aura sauvé certaines de tes soirées solitaires, t'aura donné ce que tu voulais et pris ce qu'il y avait à prendre, bref, elle ne t'aura fait que tu bien, et rien que pour ça, monsieur, elle mérite ta reconnaissance.

dimanche 15 novembre 2015

14.11.2015


En janvier, on était tous assommés, mais on avait plus ou moins saisi tes raisons. Je te cache pas que "Il m'a vexé avec son dessin", c'est vraiment une excuse de cour de récré et que, entre nous, ça ne justifiait pas tout ce foin. Même moi, tu vois, parfois, devant les dessins de Charb, Cabu ou Tignous, je me suis dit "Rhooo ils abusent ces cons!", mais étrangement, l'idée d'attraper la première Kalach venue pour aller leur démonter la gueule ne m'a jamais effleuré l'esprit. C'est peut-être parce que je suis une personne équilibrée, au fond.
Et je ne parle même pas de l'envie d'aller descendre des gens qui venaient tranquillement faire leurs emplettes à l'Hypercacher et qui, elles, ne t'ont strictement rien fait, pas même un petit gribouillis de ta mère en slip; rien, nada. Buter un type qui cherchait juste à acheter des cornichons casher, c'est quand même un truc de petite bite, et pour ce genre de complexes, la chirurgie ou un club de parole auraient sans doute pu mieux te soulager, mec.

Mais alors là, j'ai plus de mots. C'est plus une rédaction, ou une communauté que t'as décidé de viser, c'est juste "les gens". Tous ceux qui profitent de la vie, qui sortent le soir après le boulot, qui boivent, qui rient, qui s'embrassent, qui emmènent leurs gamins voir un match ou qui vont s'enjailler à un concert... L'humanité quoi, ce truc dont tu fais pourtant toi-même partie et dont, pour d'obscures raisons qui m'échapperont toujours, t'as décidé de te désolidariser.
Vouloir crever en martyr en tirant dans le dos de jeunes gens trippant sur Eagles of Death Metal, putain, tu dois être fier, c'est héroïque ça mon con!

Tu fous la honte à tout le monde mec : à moi, à nous, à tes concitoyens, à tes coreligionnaires qui une fois de plus vont devoir payer pour tes conneries, et même à ton dieu, qui s'il existe doit être en train de facepalmer à s'en fracasser le front en te regardant foutre autant la merde.

La religion, ça me gonfle à un point que tu ne saurais même pas imaginer (et pourtant t'as l'air d'en avoir, de l'imagination, dis-donc...), mais j'ai une mère catho et un père musulman pratiquants, et je pense être en mesure d'affirmer que ce que tu fais n'a rien à voir avec la foi. Ta personne toute entière est une insulte à ta religion. Par ailleurs, t'es assez con pour aller te faire exploser dans des mosquées, ce qui prouve bien que tu ne respectes rien, pas même ton propre culte, et que tu n'as qu'un anus diarrhéique en guise de cerveau.

Tu dois penser que t'as réussi ton coup, parce qu'effectivement, en rentrant chez moi à pied ce soir, j'ai eu la tristesse de constater que les rues de l'est parisien étaient aussi mornes ce samedi soir qu'un lundi en plein mois d'août.
J'imagine qu'il faut nous laisser le temps de pleurer nos morts.
Mais demain on recommencera à boire, à rire, à s'engueuler aux terrasses des cafés puis rentrer chez nous bourrés pour baiser à tue-tête, pendant que toi tu seras comme un con à astiquer ton fusil sans réaliser que ta vie ne vaut pas plus que la nôtre, et ta mort encore moins.

J'espère qu'à l'heure où je te parle, tu te fais gang-banguer à sec par tes 72 vierges munies de godes cloutés, et qu'elles ont toutes la gueule de Nadine Morano.
Tu l'auras bien méritée, ta récompense.

vendredi 13 novembre 2015

Brève de nuit

Récemment je suis entrée dans une épicerie de nuit avec un ami pour acheter à boire, parce que tous les bars avaient fermé leurs portes et que la bière avait un goût de reviens-y. Je hoquetais douloureusement devant la caisse en attendant que le cher ami aille chercher dans les rayons de quoi nous abreuver (parce que je ne suis pas une femme moderne et que j'estime que c'est à l'homme qu'incombe ce genre de mission, sinon à quoi bon s'acoquiner avec ce genre d'individus?), et au moment où il est réapparu pour payer nos canettes, l'épicier m'a demandé d'ouvrir mon sac, parce que selon lui j'avais discrètement glissé un article dedans.

Mon cerveau a fait "Gné?" et ma bouche a dit "Hein?", pendant que mes yeux atteignaient la circonférence du melon d'Alain Delon (laissez-moi capillotracter en paix, merci.).

- Hein?
- Je vous ai vue, vous avez mis quelque chose dans votre sac.
- Mais... vous m'avez vue mettre quoi? Et quand? J'ai pas bougé d'ici!
- Si. Vous avez mis quelque chose dedans.
- Sérieux?
- Ecoutez, on va pas y passer la nuit, ouvrez votre sac et montrez-moi ce que vous avez volé.
- Mais j'ai rien volé, vous êtes dingue!
- Allez-y ouvrez!

J'étais trop heureuse d'être sur le point de lui donner tort et j'ai commencé par poser mon sac sur le comptoir comme on pose ses couilles sur la table (sauf que mon sac est plus joli et plus lourd qu'une paire de testicouilles). C'est là que le type m'a stoppé d'un geste et m'a dit:

- Vous avez toujours le hoquet?

J'ai fait la même tête que Bernadette Soubirous quand elle a vu la vierge et j'ai balbutié :

- Je... bah... non!

- Parfait! Bon ben ça fera six euros pour les canettes.

Voilà.
Si tu cherches des bières et un génie au milieu de la nuit, tu les trouveras dans une épicerie à Marcadet.

jeudi 5 novembre 2015

Le miracle de la vie



Alors que j’avais autour de sept ou huit ans et que j’eus épuisé toutes les ressources des rayons jeunesse de la bibliothèque municipale de mon petit bled de banlieue, je me suis résolue à descendre explorer l’étage des adultes.  
J’ai vaqué entre les différentes thématiques, jusqu’à ce que je finisse par atterrir tout au fond de la bibliothèque, dans son coin le plus reculé, là où se trouvait l’obscur rayon qui me faisait de l’œil depuis un moment mais que je n’osais pas approcher, tellement ça m’apparaissait comme la transgression ultime : le rayon sexualité. J'avais cru comprendre que le sexe était quelque chose qui représentait des enjeux importants pour les grandes personnes, et j’avais donc fort soif d'apprendre pourquoi. 

Si j'avais su ce qui m'attendait ce jour là, je me serais tenue loin, trèèèès loin de ces étagères, et je me serais contentée de relire La sorcière de la rue Mouffetard ad vitam aeternam. 
En feuilletant un livre sur la grossesse, j'ai eu le plus gros choc de ma jeune vie (ex-aequo avec la fois où j'ai réalisé que c'était ma mère déguisée en Père Noël qui amenait les cadeaux sous le sapin) : une photo d'accouchement. Pas un schéma, pas un dessin... UNE PHOTO.
Une femme, jambes écartées, plein de poils, de sang, de matières organiques non-identifiées, et une petite tête dégueu, là, qui dépassait.

Inutile de préciser qu'à cette époque je pensais encore qu'on pouvait faire des bébés juste en se faisant un smack sur la bouche, et que je n'avais pas la moindre idée de la manière dont ils venaient au monde. Je devais m'imaginer qu'ils étaient aspirés dehors par le nombril de la mère, c'était la seule utilité que j'entrevoyais à ce trou idiot au milieu du bide. Que les garçons en aient un aussi ne m'avait jamais interpellé plus que ça (il faut dire que j'étais pas le crayon le plus aiguisé de la boîte, hein...).

C'était donc ça "avoir un enfant"? Le rêve d'avenir de la majorité des petites filles? Dégueuler une créature par le frifri?
Je suis rentrée chez moi traumatisée, et je suis restée longtemps prostrée dans mon lit en position foetale en réfléchissant aux stratagèmes que je pourrais élaborer pour échapper à cette malédiction (parce que oui, je croyais que, sauf dérogation exceptionnelle, toutes les femmes étaient destinées à avoir des enfants un jour...)
Ça me paraissait trop affreux pour que des femmes décident de leur plein gré de s'infliger un truc pareil, je me disais que la réalité de l'accouchement devait être un secret dont personne n'avait connaissance, en dehors des parturientes elles-mêmes, et que celles-ci décidaient de ne rien révéler au reste du monde et parfois même, par abnégation, d'accoucher plusieurs fois pour éviter une baisse drastique des naissances jusqu'à extinction définitive de l'espèce.

Bref, ce jour là, j'ai décidé que je n'aurais jamais d'enfant.
Je me voyais négocier avec mon futur mari Tony (je prévoyais d'épouser Tony Micelli, c'était le seul mec que j'avais vu passer l'aspirateur dans ma vie, je trouvais ça pratique) en lui vantant les bienfaits de l'adoption si vraiment il tenait tant que ça à avoir une descendance.

Aujourd'hui, le traumatisme s'est certes estompé, mais je n'ai toujours pas envie d'avoir d'enfants, pour plein d'autres raisons qui sont venues s'additionner à cette image sortie tout droit du neuvième cercle des enfers.
Et même, jusqu'à très récemment, les enfants suscitaient en moi au mieux une indifférence polie, au pire un profond agacement qui m'aurait permis de trouver parfaitement justifié que certains parents abandonnent leur progéniture sur une aire d'autoroute. Pour moi les nourrissons avaient tous le même faciès fripé et je ne comprenais pas ce qui pouvait pousser les gens à s'extasier sur ces trolls pleins de bave. Il m'est arrivé de dégager de Facebook des connaissances qui expliquaient en toute simplicité dans leurs statuts, photos à l'appui, que Timéo avait fait caca mou ce matin (mention spéciale aux commentaires : "Pauvre loulou! Courage, Maélyne était constipée hier mais aujourd'hui ça va mieux, elle nous a démoulé une crottoune de toute beauté!").
J'étais perplexité.

Et puis, au début de cette année, ma propre soeur m'a annoncé qu'elle était enceinte. De jumeaux. Elle avait beau être en couple depuis dix piges, l'idée qu'elle puisse enfanter ne m'avait à vrai dire quasiment jamais traversé la cervelle. C'était ma grande soeur, quoi ; cet être qui s'amusait à me pousser dans les orties quand on était petites, et qui me faisait la gueule pendant trois semaines quand je lui piquais ses fringues, mais que j'ai toujours admiré parce que hey, c'est l'aînée, et qu'elle a trop la classe.
La preuve, même quand elle fait des enfants, BIM, elle en fait deux d'un coup.
Ce jour-là mon cerveau a fait un triple lutz dans mon crâne et est visiblement retombé à l'envers, parce que cette annonce a été une des plus grandes joies de mon existence. J'allais pouvoir transmettre plein de trucs à des êtres innocents tout en échappant aux contraintes de la maternité. Le deal de rêve.

Depuis leur naissance, c'est comme si toutes les mamounettes du topic maternité de Doctissimo avaient pris soudainement possession de mon esprit, et je suis passée du côté obscur; celui des femmes qui ont des photos de bébés dans leur portefeuille, qui emploient des termes comme "mes petits anges"ou "p'tite bouille d'amour" et qui arrivent à caser dans n'importe quelle conversation qu'elles sont tatas...

J'ai compris que j'étais foutue quand je me suis surprise à m'émouvoir en regardant en boucle une vidéo d'un de mes neveux qui lâche une caisse.
Le prout comme allégorie du miracle de la vie.

Aujourd'hui, j'ai presqu'envie de demander pardon à tous ces parents mièvres que j'ai jugés trop durement. Désolée les gars. Je pouvais pas savoir. Je comprends un peu mieux maintenant.

Mais vous emballez pas trop non plus ; ce sont mes neveux les plus beaux.